Que dit l’artiste ?
Il m’arrive assez souvent au cours d’une réalisation d’être déviée de ma trajectoire par un objet : une branche… un cailloux dans l’eau… que je vois tout à coup d’une autre manière. Un élément naturel se présente et s’impose à moi. Je « laisse » alors l’oeuvre en cours pour porter mon attention sur cet aléas, sur ce qui vient « perturber » mon regard, le modifier. Et c’est souvent une pépite. Alors ?…
– Soit ma trajectoire est définitivement bouleversée et je me laisse alors emporter par autre élan,
– Soit « l’objet » s’intègre et complète la réalisation en cours, une véritable osmose s’opère.
Faire cela demande une présence au lieu et au moment. L’esprit est présent à ce qu’il fait « ici et maintenant » et se laisse porter plutôt que de diriger. Le cerveau limbique semble avoir pris la main et être en paix avec le cortex qui lui laisse les rennes. C’est une sensation étrange et merveilleuse qui trouve son apogée lorsqu’apparaît la réalisation, sa beauté, sa simplicité.
C’est ce qui m’est arrivé lors de cette réalisation. Je « plantais » dans la rivière des racines d’arbres coupées, tordues, noircies par les mois passés sous l’eau quand en me retournant pour aller ramasser une nouvelle racine, j’ai aperçu cette pierre. J’y voyais un visage. Un peu comme Michel-Ange, j’ai sorti l’ange de la pierre. En ajoutant ce petit cailloux : tout était là. Depuis, je ne l’ai plus jamais revu ce visage.
Je retrouve cette attitude lorsque j’écoute et surtout je m’écoute. Non pas sur mes idées, sur les pensées qui me traversent l’esprit mais sur mes émotions, ce que je ressens, lorsque je porte attention à mon corps, lorsque j’identifie ce qui se passe… alors, en me laissant porter par ce ressenti je prend des chemins nouveaux non seulement pour moi mais aussi pour ceux qui m’entourent.
Mercredi 2 janvier 2013, l’année débute et ma passion pour le land art aussi.
Je pars sur la grande plage d’Erdeven avec Chouky, mon fidèle compagnon de randonnée, un labrador chocolat – une crème. Ces moments de solitude, ces promenades me ressourcent. Je vais faire le plein de cette énergie, de toute cette beauté. Le temps est radieux et la lumière est belle. Je marche perdue dans mes pensées. Mon regard scrute cette belle lumière à l’horizon. Nous ne sommes pas nombreux à nous offrir le spectacle de la grande bleue. Quelques silhouettes se détachent ça et là.
Je marche sur un tapis de coquillages, j’aime le bruit du coquillage qui cède sous mes pas. Légers crissements puis le silence de la mer revient. Tout à coup, le tapis se fait plus intense et recouvre le sable d’une belle épaisseur. Je quitte l’horizon pour regarder à mes pieds. Intriguée par leur taille, je commence à ramasser des couteaux. Je détache les valves pour mieux les porter. Ma main ne suffit plus, je n’ai pas de sac. Je m’apprête à les déposer quand me vient l’idée de les planter dans le sable. D’où vient cette idée ? Pourquoi ? Comment ? C’est la magie de cet instant, de cette fulgurante. A partir des premiers couteaux plantés, mon coeur sait qu’il approche quelque chose de beau. Je ne sens pas le froid sur mes doigts. Je pose les couteaux sans recherche, sans réelle intention de faire ou de construire. Je m’éloigne, prends de la distance ! Whaou ! C’est là, c’est beau. La simplicité mise en scène. Je m’allonge sur le lit de coquillage et prend plusieurs clichés avec la mer en ligne de fond. Je suis heureuse. Je découvre cette passion (sur laquelle je ne mettrais beaucoup plus tard un nom). Celle de révéler la nature, révéler sa beauté. Se laisser inspirer et porter par l’élan, faire sans y mettre de pensées, d’intentions, faire comme cela vient.
Une première façon de créer pour moi : me laisser porter par la beauté de la nature qui m’entoure. Je me demande parfois si ce n’est pas elle qui « prends le crayon » pour faire ! Je suis alors son interprète.